Octodon degus : un petit animal du Chili qui réinvente la vie en société
Si un jour tu tombes nez à nez avec un octodon, tu pourrais croire à un croisement improbable entre un écureuil, un rat, et un chiot miniature. Il a de grandes oreilles, des moustaches qui frétillent, une queue terminée par un petit plumeau… et des yeux qui te regardent vraiment. Parce que contrairement à bien des rongeurs, l’octodon observe, analyse, retient. Et il n’est pas seul : tout son groupe est organisé comme une petite société souterraine.
Et c’est justement ce qui rend cet animal si fascinant : derrière son aspect mignon et inoffensif, l’octodon est un bijou d’évolution sociale, un modèle cognitif inattendu, et un allié discret des chercheurs.

Une espèce née du soleil et des ronces
L’octodon degus est un rongeur strictement endémique du Chili central, une région semi-aride, parcourue de broussailles épineuses, où la température passe du frais nocturne à la chaleur diurne. Adapté au matorral chilien, il vit dans un environnement où les prédateurs sont nombreux et la nourriture rare.
Sa solution ? La coopération. Les octodons vivent dans des terriers souterrains collectifs, creusés à plusieurs : jusqu’à 10–15 m de galeries, avec plusieurs chambres et issues, réserves alimentaires… Une vraie mini‑cité pour se sentir en sécurité et partager la vie.
Ces colonies souterraines les protègent des rapaces, serpents et renards du matorral. Le terrier est donc un véritable centre névralgique de survie collective.
Une vie en société bien réglée
Ces rongeurs ne sont pas de simples colocataires : ils vivent en groupes familiaux stables, composés de plusieurs femelles apparentées, d’un ou deux mâles, et de leurs petits. Ce modèle social repose sur la lactation croisée : plusieurs femelles allaitent les petits des autres, se relaient, les réchauffent, les protègent, et les éduquent.
Cette structure repose sur une reconnaissance sociale sophistiquée : les octodons distinguent les membres de leur groupe grâce à l’olfaction et la voix, mémorisent les relations, forment des alliances durables, et certains comportements laissent penser qu’ils ressentent un niveau primitif d’empathie sociale.
Un cerveau curieux, une mémoire hors norme
Ce qui rend l’octodon vraiment unique, c’est ce qui se passe dans sa tête.
L’octodon est curieux, actif et très intelligent : il apprend vite et retient longtemps. Des études montrent qu’il peut mémoriser un trajet complexe dans un labyrinthe pendant des semaines, avec une mémoire spatiale comparable à celle de certains primates.
Il excelle aussi dans l’apprentissage social : il suffit qu’un individu observe un congénère réussir une tâche pour l’apprendre à son tour. Ainsi, un nouveau comportement se propage dans tout le groupe, sans que chaque individu ait besoin de le découvrir seul — une forme rare de savoir collectif chez les rongeurs.
Enfin, sa communication est très riche : plus de 15 vocalisations identifiées, dont certaines servent à signaler un danger, calmer un conflit, appeler un compagnon. Associé à des marquages olfactifs et des postures expressives, c’est un langage social complexe et codé

Un cycle de vie lent mais robuste
Chez l’octodon, chaque naissance compte. La gestation dure environ 90 jours, l’une des plus longues chez les rongeurs. Les petits naissent dès prêts : poilus, les yeux ouverts, capables de se déplacer quelques heures après la naissance.
Ils explorent dès le deuxième jour ; vers trois semaines, ils mangent déjà ; à trois mois, ils sont sexuellement matures. Cette stratégie d’un développement lent mais stable maximise les chances de survie.
Un régime sans écart possible
L’octodon est herbivore strict, adapté à un régime riche en fibres pauvres : graminées sèches, feuilles coriaces, écorces. Son métabolisme digestif est inefficace pour métaboliser le sucre.
Un seul fruit trop sucré peut déclencher une hyperglycémie aiguë. Cette intolérance naturelle au glucose en fait un excellent modèle pour étudier le diabète de type 2, avec un pancréas peu sécréteur d’insuline et une sensibilité marquée au glucose.
Un allié inattendu de la recherche médicale
C’est peut-être la partie la plus étonnante de son histoire. En vieillissant, certains octodons présentent des symptômes très proches de ceux des humains atteints d’Alzheimer :
- dépôts de protéines bêta-amyloïdes,
- déclin cognitif mesurable,
- modification des circuits neuronaux.
Ce phénomène se produit spontanément, sans manipulation génétique. L’octodon est donc un modèle naturel uniquepour étudier les maladies neurodégénératives.
Il est aussi étudié pour :
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Modèle naturel pour Alzheimer
Des chercheurs comme Nibaldo C. Inestrosa et Francisco Bozinovic ont montré que certains octodons âgés développent spontanément des plaques de bêta-amyloïde, une phosphorisation de tau et un déclin cognitif similaire à la forme sporadique de la maladie d’Alzheimer : une rarissime pathologie naturelle chez un rongeur non modifié génétiquement.
Une étude dirigée par le Dr Xiangmin Xu (UCI) en 2022 a confirmé chez certains sujets âgés l’apparition de troubles mémoriels associés à des signes neuropathologiques comparables à ceux des patients humains, en particulier chez des octodons outbred
Ces modèles permettent de tester des traitements neuroprotecteurs, d’étudier les effets de l’environnement social sur le cerveau vieillissant, le tout sans manipulations artificielles.
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Modèle métabolique pour le diabète de type 2
Grâce à leur intolérance naturelle au glucose, les octodons exposés à un régime riche développent spontanément des symptômes de diabète. Cela en fait un modèle naturel très prisé pour la recherche sur les maladies métaboliques humaines
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Autres contributions scientifiques
Des chercheurs ont aussi étudié :
- leur rythme circadien diurne et ses implications pour la compréhension du sommeil humain ;
- les effets de l’isolement social sur le développement cérébral chez un animal hautement sociable ;
- l’épigénétique comportementale, pour comprendre comment le stress social ou environnemental modifie durablement le cerveau et le comportement
Bref : petit corps, grand potentiel scientifique.
Alors, parfait animal de compagnie ?
En théorie, oui. En pratique… pas toujours.
L’octodon est intelligent, sociable, diurne, donc très agréable à observer. Mais il a des besoins exigeants :
- vivre en groupe, toujours,
- disposer d’un espace vaste et stimulant,
- être protégé du bruit, de la chaleur et surtout du sucre,
- recevoir des soins vétérinaires adaptés.
Nombreux sont ceux qui sous-estiment ces exigences, conduisant à du stress, des comportements stéréotypés, et même des troubles digestifs …
Conclusion : un génie en miniature
L’octodon est une créature complexe, attachante, raffinée, et pleine de ressources. Il prouve que l’intelligence sociale ne dépend pas de la taille du cerveau, mais de l’environnement, de la coopération et de la mémoire collective.
À la croisée du monde sauvage et du laboratoire, il fascine autant les éthologues que les neuroscientifiques. Et toi ? Tu viens peut-être juste de tomber sur l’un des animaux les plus surprenants qu’on puisse rencontrer.